L’étape 20 et la classification générale peuvent être compliquées ou non à l’heure actuelle, mais la géologie de la région actuelle est compliquée. Il en va de même pour notre blog, mais après 20 jours de géologie sur le Tour de France, vous êtes des experts. Voici donc une plongée en profondeur !
Nous sommes dans les Vosges et c’est la patrie des Ballons. Il y a le Ballon d’Alsace (1247 m), le Grand Ballon (1424 m), le point culminant des Vosges, le Petit Ballon (1272 m), que les coureurs grimperont plus tard dans l’étape, le Ballon de Servances (1216 m) et le Ballon Saint-Antoine (1128 m). L’origine de ce toponyme particulier, « ballon », reste à ce jour un peu mystérieuse. Son origine se trouve peut-être dans la géologie de ces sommets. Le terme « Ballon » peut en effet faire référence à la « forme arrondie » des sommets montagneux, en référence à « bulla », qui signifie « objet sphérique » en latin.
Les énormes masses granitiques, que les géologues appellent « batholithes », ont tendance à s’altérer pour former des sommets arrondis. Vous connaissez peut-être l’emblématique Half Dome, situé dans le parc national de Yosemite, en Californie.
Et en effet, les Vosges du sud exposent ces énormes batholites granitiques. Ils sont tous des vestiges d’une activité magmatique vieille de 350 à 330 millions d’années au cours des dernières étapes de l’édification des montagnes varisques, qui achèvent la formation du supercontinent de Wegener, la Pangée.
Les Vosges, un casse-tête pour les géologues
Le géologue britannique John F. Dewey (1937-), l’un des pères fondateurs de la tectonique des plaques, a écrit un jour que « la tectonique des plaques est, par nature, un beau concept simple, mais ses résultats à plus petite échelle sont d’une complexité déconcertante »(Oreskes, N. 2001). C’est exactement ce que vivent les géologues qui tentent de décrypter l’histoire tectonique du massif vosgien. Les Vosges sont un véritable casse-tête pour les géologues. Aka : c’est compliqué.
Lorsque vous entendez parler de la tectonique des plaques, vous vous souvenez probablement de ce que vous avez appris à l’école. La surface de la Terre est composée d’un nombre limité de grandes plaques lithosphériques rigides – dont certaines portent des continents – qui se déplacent les unes par rapport aux autres en réagissant à l’écoulement convectif dans le manteau terrestre. Le long des frontières entre ces plaques lithosphériques « broyées », les tremblements de terre et les volcans sont fréquents.
Les continents se brisent et les océans se forment. Ces océans se développent le long des frontières de plaques divergentes, où une nouvelle croûte océanique est créée. Les continents s’éloignent les uns des autres. Lorsqu’une zone de subduction se forme le long d’une marge continentale, une plaque commence à plonger sous une autre plaque. La marge continentale devient alors une frontière de plaques active et convergente.
Les continents commencent à converger et l’océan qui les sépare se referme progressivement. Les continents finissent par entrer en collision et d’immenses chaînes de montagnes se forment. Les géologues appellent « cycle de Wilson« cette évolution des continents qui se séparent vers des continents qui entrent en collision. Il porte le nom du géophysicien canadien John Tuzo Wilson (1908-1993). Il est un autre père fondateur de la tectonique des plaques.
Terrain et terrane
Ce modèle « simple » de la tectonique des plaques est principalement développé d’un point de vue « océanique », sur la base de recherches océaniques. C’est la raison pour laquelle John F. Dewey l’a qualifié de « beau concept simple« . Les géologues continentaux ne reconnaissent pas vraiment cette simplicité dans l’architecture des chaînes de montagnes qu’ils étudient. Ni dans les chaînes de montagnes actives comme l’Himalaya, ni dans les vestiges d’anciennes chaînes de montagnes, comme la chaîne de montagnes paneuropéenne et varisque, dont le noyau est exposé dans les Vosges. Ce que les géologues continentaux voient dans ces chaînes de montagnes est un puzzle de fragments continentaux et d’éclats océaniques. Les géologues appellent ces fragments – de toutes les tailles possibles – des « terranes », à ne pas confondre avec le terme « terrain », qui désigne simplement la géographie physique d’une région. Les mots ont de l’importance !
La Cordillère nord-américaine est un exemple classique d’un tel « assemblage de terranes ». On la trouve le long de la côte pacifique des États-Unis et du Canada. Bien que cette région ait été une marge continentale pendant des centaines de millions d’années, la chaîne de montagnes de la Cordillère reflète une activité orogénique presque continue. Cette formation continue de montagnes ne résulte pas d’une collision entre deux continents. Non, elle est due à une séquence d’accrétions de fragments continentaux et océaniques. Parfois, ces fragments sont même apparemment sans rapport avec le continent voisin, ce qui laisse supposer qu’ils viennent de loin. C’est pourquoi nous appelons ces fragments « terranes exotiques ».
Ces puzzles orogéniques de terranes accrétés indiquent un degré élevé de mobilité tectonique. Cela est difficile à concilier avec le modèle simple de la convection du manteau qui entraîne les mouvements des plaques. La tectonique d’accrétion implique en effet une image très mobile de la tectonique des plaques, avec des zones de subduction qui « sautent » ou « s’inversent », la formation d’océans à court terme, etc. Il s’agit de processus géodynamiques incompatibles avec l’écoulement convectif lent dans le manteau. La tectonique des plaques raconte en effet une histoire « étonnamment compliquée »!
Retour en Europe : toujours compliqué
Le sous-sol européen, au sud du bouclier cratonique précambrien de la Baltique, est également constitué d’un amalgame de terranes. Tous ces domaines tectonostratigraphiques étaient autrefois des fragments continentaux de l’ancien » supercontinent méridional (paléozoïque), le Gondwana, ou des continents qui lui ont succédé (méso/cénozoïque), l’Afrique et l’Amérique du Sud. C’est pourquoi nous appelons tous ces fragments « terranes péri-gondwaniens ». Ces terres portent des noms, tels que Avalonia, Armorica, Iberia, Apulia. Si vous avez besoin d’inspiration pour un groupe de rock new age ? Une fois que ces terrains sont incorporés dans le système orogénique varisque, ils sont connus sous le nom de rhénohercynien, saxothuringien ou moldanubien.
Au sein de ce puzzle européen, les Vosges occupent une place particulière. On reconnaît dans les Vosges les vestiges d’au moins quatre domaines tectonostratigraphiques. Du nord au sud, on trouve la croûte avalonienne, la croûte rhénohercynienne, la croûte saxothuringienne, la croûte moldanubienne et, enfin, la croûte gondwanienne jusqu’au sud.
Tous ces lambeaux continentaux faisaient autrefois partie du continent gondwanien. Ils ont dérivé au début du Paléozoïque, il y a plus de 400 millions d’années. Ces microcontinents ont dérivé vers le nord dans l’océan Rhéique, devant le supercontinent Gondwana qui dérivait vers le nord. L’océan Rhéique a commencé à se refermer et le supercontinent du Gondwana a convergé vers la Baltique et la Laurentie, qui avaient déjà fusionné avec l’Avalonie pour former le supercontinent septentrional « Old Red ». Les lambeaux continentaux péri-gondwaniens ont été accrétés un par un. Ils se sont regroupés dans la chaîne de montagnes paneuropéenne Varisque, exprimant la formation finale du supercontinent de Wegener, la Pangée.
Tour du Gondwana
Dans les derniers stades de l’édification des montagnes dans les Vosges, il y a environ 320 millions d’années, une activité magmatique massive a été liée à la désolidarisation de la croûte supérieure de l’orogenèse varisque. Elle aboutit à l’architecture complexe et définitive des Vosges. Il s’agit donc d’un véritable casse-tête pour tout géologue continental. L’ascension des Vosges, la traversée de différentes sutures entre les terranes péri-gondwaniens, font de l’étape d’aujourd’hui un peu le « Tour de Gondwana ».